2022/03/10 (木) 14:47
Ton lien vers la scène de l'Impératrice dans la Femme sans ombre m'avait d'abord échappé.
Je suis allé y voir concernant Behrens. Tout ceci est superbe.
2022/03/12 (土) 22:09
Une autre des surprenantes Nuits d'été de la Behrens, qu'on n'attendrait pas a priori dans un tel répertoire.
Je reviens de la Villa [1], dont nous avons célébré ce soir le trentième anniversaire en présence de l'Ambassadeur, de Stéphane Martin [2] et du Maire de Kyoto, ce qui ne me rajeunit pas vraiment, mon pauvre François. Il s'agit d'une exposition sur les acquits de ces trente années, présentée pour moitié sur place et pour moitié au Kyoto Art Center, où j'ai bien des souvenirs : c'était en 2002 (pas hier non plus...), j'avais pu en effet répéter huit jours sur place (un grand luxe dans ce pays où tu ne peux généralement entrer dans la salle qu'in extremis) le montage de pièces solo a capella [3] que j'avais concocté avec Yumi Nara, et dont le lien suivant propose une photo tirée du spectacle.
Je ne suis pas trop fan (même pas du tout) du répertoire de la diva du contemporain, mais j'avais pu limiter les dégats en écartant les pièces trop hard (comme celle qui figure hélas sur le présent lien), et en farcissant la chose de chants populaires d'Okinawa ou de pièces médiévales. Yumi fait aussi partie de la cohorte de sopranos avec qui j'ai monté un peu partout la Voix Humaine, sauf qu'elle avait commencé par refuser le rôle en arguant qu'elle ne pouvait pas interpréter une femme délaissée, dans la vie en effet c'était toujours elle qui était partie. Bon...
Je sais que tu n'es pas trop client, mais Barbara Hannigan chantant la chose tout en la dirigeant vaut quand même le détour.
2022/03/12 (土) 23:35
Que de grands souvenirs.
J’étais aussi à Kyoto en 2002. Même si la nostalgie a la réputation d’être la poisse de la mémoire selon les esprits forts : j’y suis fort sensible. Cela ramène le souvenir de Shigeki [4] qui était de la fête aussi.
Je lisais ce soir la Correspondance Strauss-Hofmannsthal : on en aurait le vertige pour moins de génie.
2022/03/12 (土) 23:54
Quelles Nuits d’été ! Strauss, qui n'intéressait pas les fans de contemporain, a en revanche – comme Mozart – été servi par un panthéon sublime et où l'on retrouve presque toutes nos admirations.
Voici une autre trinité gagnante.
2022/03/13 (日) 6:12
Tu me gâtes avec ces ineffables douceurs straussiennes, notre délice, et ces voix superlatives.
Il me semblait bien en effet que tu étais venu à Solo Voice. De Shigeki je ne me souviens plus, mais c'est vraisemblable du fait de ses liens ultérieurs avec la salle, de Moriguchi [5] oui, bien sûr, puisque nous lui devions la commande de la pièce. J'ai gardé une énorme nostalgie de ce spectacle, du fait de l'extraordinaire plasticité/productivité de ce vaste puits creusé au milieu des spectateurs, et de cette galerie courant sur le pourtour de la salle qui faisaient que l'actrice, le plus souvent entourée sur deux côtés par le public, pouvait aussi circuler tout autour de lui, tandis que des issues communiquant avec l'extérieur à l'insu du public (elles étaient masquées par le lourd rideau qui revêtait les murs) permettaient des effets d'apparition et de disparition inexplicables. Deux ou trois ans plus tard, il m'est d'ailleurs arrivé une aventure incroyable en relation avec ce spectacle. Tu te souviens peut-être que Yumi y chantait un air traditionnel de Yonaguni [6] , et que j'avais matérialisé la lumière aveuglante de l'île par un simple spot orange qui dessinait un cercle dans un coin du théâtre laissé pour le reste dans le noir.
Deux ou trois ans donc après ce spectacle, j'assiste sur la recommandation de l'un de mes collègues, l'ethnologue de service de la Fac de relations internationales où j'enseigne, au récital d'un chanteur d'Ishigaki [7] , qui donne tous les mois dans un "live house" de Kyoto un tour de chant nostalgique pour les gens d'Okinawa exilés pour trouver du boulot dans le Kansai. Le chanteur s'accompagne très simplement au jamisen [8] , l'éclairage est neutre, blanchâtre et sans apprêt. Soudain, vers le milieu de la deuxième partie, je vois entre deux chansons s'allumer soudain un spot orange, le même que celui que nous avions utilisé pour Solo Voice, et une voix intérieure me dit : c''est pas possible, il va chanter l'air de Yonaguni. Et, de façon incroyable, il chante l'air de Yonaguni, le spot s'éteignant à la fin de la chanson pour retourner à l'éclairage blafard de base ! Je crois halluciner. À la fin du spectacle, encore tout remué par ce prodige que je ne peux m'expliquer, je prends sur moi et bavarde comme si de rien n'était avec l'artiste que mon collègue qui le connaît personnellement m'a présenté, quand soudain je vois son technicien sortir de la cabine : c'était l'éclairagiste de notre spectacle, à qui l'effet avait plu et qui l'avait reproduit ! Il n'y a que le théâtre pour produire de pareilles émotions…
Allez, pour bien commencer la journée, cela, dont on ne se lassera décidément jamais :
2022/03/13 (日) 13:29
Ces souvenirs sont si finement évoqués que je revis la scène.
J'ai lu hier que c'est Paul Dukas – qui connaît tant de musique mais compose si peu et dont j'adore l'Ariane – qui fit découvrir Strauss à Messiaen.
022/03/13 (日) 21:20
Tu partages avec Strauss l'admiration pour l'Ariane de Dukas, qui fut de fait le maître de composition de Messiaen au Conservatoire.
Plus Messiaen que nature, la "Pièce pour le tombeau de Paul Dukas" (1935) apparaît quoi qu'il en soit aujourd'hui plutôt comme un monument élevé à soi-même !
2022/03/14 (月) 0:08
J'aime beaucoup Muraro — dans Ravel surtout. Messiaen demeure une énigme pour moi : l'allusion au Rosenkavalier (acte II) serait là :
L'exemple musical convainc à la la lecture et ensuite à l'oreille.
Je ne résiste pas à te rappeler l'érudit Dukas et le cinglé qui l'interprète ici.
2022/03/14 (月) 7:58
On peut dire ce qu'on veut, ces pièces de la vingtième année portent déjà la marque indélébile de leur auteur. Quoi qu'il en soit de ce qui chez moi, tu le sais (et surtout interprété comme ici par Pierre-Laurent), relève chez Messiaen de l'intime [9] , on ne peut pas trouver fondamentalement à redire à un monsieur qui se lève à quatre heures du matin pour aller dans des forêts écartées noter au crayon et au papier à musique des chants d'oiseaux dont il fera ensuite le matériau de son écriture.
Bref, recentrons-nous sur ce que nous faisons le mieux. Je complète ci-dessous notre découverte de la quinzaine. Les moyens vocaux, utilisés avec la main sur le frein, sont il faut le dire colossaux, et aussi une forme d'humilité, de sincérité qui impressionne.
2022/03/14 (月) 10:48
J'ai déjà évoqué le bird watching chez Messiaen et Britten.
Comme Ligeti dont les Études sont pour moi – comme Le Catalogue d'oiseaux – un chef-d'œuvre, il faut tout de même des efforts. Les pièces tardives me restent hermétiques. Récemment Clements [10] parlait de Rihm, Je suis allé voir... Rien pour moi..
Morand écrit, serait-ce dans L'Homme pressé、qu'il faut avoir des dégoûts très sûrs. Là, ce n'est que de l'indifférence. Messiaen, Ligeti, ou Kurtag oui :
Je ne crois pas qu'il faille cultiver l'unanimité – synonyme d'uniformité. Celle-ci devient un monologue.
En revanche, Dukas, comme mon Vieil Homme [11] , s'il a écrit peu, a inspiré beaucoup. Il est érudit à la manière de son père qui étudiait Peiresc [12]. As-tu déjà vu une mise en scène d'Ariane ? Moi non.
En relation avec Dukas :
2022/03/14 (月) 14:33
Le Kurtag est superbe, Yumi l'aurait sans doute trouvé trop mélodique !
Je vois que tu viens à la belle Barbara, qui a dû se faire la malle plusieurs fois dans sa vie aussi...
Le Bartok est un chef-d'oeuvre longtemps pratiqué, en revanche il faut que je me refasse une culture s'agissant d'Ariane, dont je n'ai je dois le dire qu'un souvenir des plus vagues...
Je ne parle pas de Peiresc : que serais-je sans toi !
2022/03/14 (月) 14:51
Et moi donc ! J'ai dû mal m'exprimer sur Messiaen dont le piano est une découverte tardive, reprise avec Pierre-Laurent Aimard (tout comme Ligeti) et Brendel – en amont et assez merveilleuse. Par ailleurs son hommage à Dukas, s'il annonce une partie de son œuvre à venir reprend aussi les intuitions du maître. Jules Dukas n'était pas un érudit de seconde catégorie. Il ressemble d'ailleurs à ces antiquaires comme Peiresc ou Caylus [13], qui comptent parmi les géants du savoir de leur temps.
Le Kurtag est très beau. Hannigan parfois en fait un peu trop dans l'hystérie, mais c'est tout de même très fort.
Le Bartók vaudrait un de nos épisodes à lui tout seul. Ceci dit, les versions hongroises ne courent pas les rues.
Tiens, Ariane me rappelle Strauss et Barbe-Bleue une autre figure qui nous est chère :
2022/03/14 (月) 21:37
J'ai réécouté Ariane, c'est formidable, et jamais suite symphonique ne fut plus justifiée !
S'agissant d'Offenbach, cela fait des semaines que je songe à t'adresser cette petite merveille. Sans doute n'apprendrai-je rien au fan que tu es...
2022/03/15 (火) 16:18
Pour ne m’être pas inconnu, quel délice que ce morceau. Reynaldo forever ?
Connais-tu cela :
En dehors du tube planétaire de l'Apprenti sorcier et d'Ariane, je ne connaissais guère que la musique pour piano.
Hier soir :
Pour quitter Paul et revenir vers les grandes voix du passé :
2022/03/15 (火) 19:42
Noni !
Un dernier coup pour la route avec Dukas : renseignements pris, il aurait eu aussi Milhaud pour élève : cela ne me le rend que plus cher.
Au fait, tu connais ce passage des Choéphores ?
Il précède de deux ans ceci :
Pas mal, non ?
2022/03/15 (火) 21:31
En finit-on jamais ? En décembre 1911, Sibelius d'abord, Milhaud ensuite, à l'écoute de la Symphonie en ut majeur acclament Dukas. Le premier parle d'une œuvre géniale, le second adore l'andante et s'émerveille de sa profondeur malgré les défauts que l'on trouve aux œuvres dites de jeunesse.
Quatre décennies plus tard, Milhaud, à l'écoute de Messiaen se ravise et pourfend cette musique « pour la foule et l'élite, le bidet et le bénitier » et parle d'une généalogie affreuse : Paul Dukas et Marcel Dupré.
Quant à Dukas, la musique des Six lui fait horreur et il déteste le... Bluff sur le toit. Autant écouter Cécile Chaminade. Les rapports professeur-élève n'ont guère changé.
J'avais oublié – littéralement – les Choéphores et donc le passage formidable que tu m'adresses. L'Histoire du soldat est une pure merveille que je ne cesse d'écouter mais dont j'ignorais cette préfiguration.
Mais, j'en étais à une séance de nécromancie lyrique qui, des profondeurs, conjurait :
2022/03/15 (火) 23:00
En parlant de "bluff sur le toit", Dukas ne croyait pas si bien dire,mais probablement pas pour les raisons qu'il imaginait : en fait, Milhaud a tout piqué. Mon pote brésilien Manoel Corréa do Lago [14] a retrouvé la quasi totalité des pièces à la suite d'une recherche de forçat, et la dame américaine [15] à qui j'ai de mon côté piqué l'idée (technique) de notre site y a consacré un monument baptisé Boeuf Chronicles, dans lequel elle indique que "the composition is a collage made up of a repetitive rondo theme concatenating 28 tunes created by at least 14 Brazilian composers (identification of the four mystery tunes could uncover more). It is assumed that the rondo theme was Milhaud’s only melodic contribution to the piece, although it’s possible that he may have had a hand in any of the four unidentified tunes—nos. 14, 15, 16, and 20. Since Milhaud never identified his sources, the plagiarism question inevitably comes up, as indeed it has on more than one occasion".
Je me bornerai à deux exemples : le premier air, emprunté, c'est le moins que l'on puisse dire, à Marcello Tupynambá,
et une ritournelle récurrente que le bon Darius est allé chercher chez Ernesto Nazareth :
Je t'épargne le reste.
Moyennant quoi, je n'en éprouve que plus d'enthousiasme encore pour cette oeuvre merveilleuse qui a immortalisé ces musiques magiques de la rue brésilienne.
L'Erda de l'immense Sigrid semble ne pas avoir encore totalement émergé de sa glaise.
2022/03/16 (水) 0:52
C'est formidable ! L'érudition vient à notre secours au bon moment. J'ai toujours une admiration pour la capacité à faire une œuvre à partir d'une autre. C'est totalement convaincant.
Je scrutais la toile et des fonds d'archives sonores sur les contraltos quand le nom d'Onegin m'est revenu – d'une Ariane l'autre si j'ose dire (Onégin fut la Dryade lors de la création du Strauss) . Son Erda troublante et engluée n'est qu'un exemple : impossible, passé un certain nombre d'années, de restituer mieux certains enregistrements. Pour moi le rôle reste lié à :
Dryade aussi :
Au fond, Dukas, moins connu que Milhaud, l'a emporté par un scherzo orchestral. Comme quoi être un « Zauberlehrling » éternel, finalement ce n'est pas si mal aux yeux de la postérité.
2022/03/16 (水) 6:28
Puisque nous voici au chapitre des voix féminines des profondeurs, j'avais été surpris, dans l'enregistrement de l'Ariane de Dukas que tu m'avais posté, par le timbre abyssal de la chanteuse inconnue au bataillon qui interprétait la Nourrice. Je suis allé y voir : elle est malheureusement disparue prématurément, suffisamment tard toutefois (le mitan de la cinquantaine fatal à tant de ses consoeurs) pour laisser le témoignage de son étrange voix bulgare.
[1] La Villa Kujoyama, résidence d'artistes français édifiée en 1992 sur le site originel (1927) de l'Instiut franco-japonais du Kansai, l'ancien bâtiment ayant été détruit en 1981. Directeur de l'Institut depuis 1986, Michel Wasserman fut ès-qualités le premier directeur du nouvel établissement. [2] Président-fondateur du Musée du Quai Branly, Stéphane Martin est aujourd'hui Conseiller culturel à l'Ambassade de France à Tokyo et directeur de l'Institut français du Japon, tutelle de la Villa Kujoyama depuis 2014 et la dissolution de la Société de Rapprochement intellectuel franco-japonais, fondation binationale créée en 1926 par Claudel, alors Ambassadeur de France au Japon. [3] Solo Voice, Kyoto Art Center, 2002. [4] Shigeki Tominaga, sociologue (1950-2021). [5] Kunihiko Moriguchi, peintre de kimono né en 1941, dirigeait alors le comité de programmation du Kyoto Art Center. [6] Île appartenant à l'archipel Yaeyama, au sud-ouest de la préfecture d'Okinawa, à la latitude du nord de Taiwan qui n'est qu'à une centaine de kilomètres. Yonaguni constitue le territoire le plus occidental du Japon. [7] Île principale de l'archipel. [8] Variété propre à la région d'Okinawa de shamisen, luth japonais à trois cordes, dont la caisse de résonance est recouverte de peau de serpent (ja). [9] Voir Folies françaises 2021, 2021/09/14 (火) 0:58, et notes 1 et 2. [10] Critique musical du Guardian. [11] Baisao (1675-1863), le héros du Vieil Homme qui vendait du thé - Excentricité et retrait du monde dans le Japon du XVIIIème siècle de François Lachaud (Publications de l'École pratique des Hautes études, 2010). [12] Nicolas Claude Fabri de Peiresc, érudit et collectionneur (1580-1637). [13] Anne Claude de Caylus, érudit, collectionneur et homme de lettres (1692-1765). [14] Manoel Corréa do Lago, musicologue né en 1953, s'est notamment intéressé à la période brésilienne de Milhaud. [15] Daniella Thompson.
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