2023/02/09 (木) 13:10
J'ai écouté La Voix humaine interprétée par Véronique Gens, je ne m'habitue pas encore à ce timbre. Mais je parle à L'EXPERT.
J'avoue un (très) grand faible pour Felicity Lott.
Pour chasser lutins, calvaires et autres souvenirs spleenétiques, j'ai repris Fracasse, mon capitaine préféré après Achab.
2023/02/09 (木) 16:44
"By the way, Mozart was 18th century, not 17th".
Je reviens à l'instant du Kyoto Cinema, où j'ai vu les Banshees. Tu as raison, c'est admirable. Tout est à ravir, scénario, cinématographie, acteurs, on a le sentiment d'assister en live à la naissance d'un classique. Seule la bande originale me semble anecdotique, alors qu'il y a un ou deux airs traditionnels de musique chantée qui m'ont paru superbes, mais que je ne trouve nulle part sur le net, sans doute faudrait-il avoir accès au générique de fin. En attendant, on peut revenir avec enthousiasme au morceau de musique panique que tu m'as posté l'autre jour.
Je prends un peu de temps pour te répondre concernant La Voix humaine, pour laquelle j'ai de fait ici ou là convenablement donné...
2023/02/09 (木) 18:28
Me voilà ravi de cette nouvelle ! Gleeson[1] joue très bien du fiddle[2] et parle irlandais. Je l'ai vu applaudir, massif tel un bloc de nuit, Seamus Begley – je le mettrai volontiers dans nos folies par dévotion – au... Connolly's Corner, mon pub magique de la rue de Mirbel, puis à Skibbereen[3] :
Certains moments musicaux sont moins bons mais quel film ! Quant à Sheila Flitton, elle ferait passer la Mort de Bengt Ekerot[4] pour un gentil lutin... Un vrai chef-d'œuvre.
En attendant tes cornues, grimoires et athanors[5] distillant les secrets de la Voix humaine. Tu n'auras pas à faire à un bel indifférent.
2023/02/10 (金) 6:51
J'ai écouté Véronique Gens, et franchement je trouve ça plutôt pas mal,
étant entendu que pour toutes les raisons du monde Denise Duval est à jamais inégalable.
Quant aux cornues, grimoires et athanors de ton serviteur, il ne peut guère aller les chercher que dans Mozart à Kyoto[6], qui garde trace de la première de ses Voix, en 86 à l'Institut de Tokyo : "posant que le personnage avait pris un somnifère préalablement au début de l'opéra, j'avais placé mon soprano sur une sorte de podium en implantation centrale où elle était étendue apparemment inconsciente à l'entrée des spectateurs qui étaient surtout des spectatrices, et qui considéraient avec une crainte diffuse et une gêne palpable cette étrange créature inanimée, à moitié dénudée dans sa combinaison de soie rose". Une quinzaine d'années plus tard, le rôle fut repris au Kyoto Concert Hall par Yumi Nara, non sans que la belle ait d'abord refusé d'incarner ce personnage "de maîtresse délaissée, arguant que de sa vie elle n'avait jamais été quittée, c'était toujours elle qui était partie "!
Chanteuses...
2023/02/10 (金) 9:53
Pour moi aussi, Duval est à jamais irremplaçable. Fidélité à l'œuvre et à Cocteau – cet immortel Protée qui remet dix ans plus tard le couvert pour Piaf [7]. Ils mourront ensemble.
Je ne m'habitue pas encore à la voix de Gens. Cela viendra sans doute.
Je me souvenais de tout ce que tu racontes dans l'un de tes plus beaux livres. Comment oublierais-je Nara Yumi ?
2023/02/10 (金) 10:52
Pascal et Felicity.
Si tu me prends par les sentiments...
2023/02/10 (金) 15:46
De Pascal [8], à qui dans le cadre d'un mail sur tout autre chose je disais que tu venais de m'adresser les deux mélodies en question :
2023/02/10 (金) 14:52
J’ai toujours pensé que le hasard n’existe pas…je suis à Londres pour mes cours au Trinity college et hier des élèves m’ont joué ces 2 mélodies que j’adore !
Je dis souvent que le souvenir discographique le plus intense de ma longue carrière a été l’enregistrement de l’intégrale des mélodies de Poulenc…autour de 150 je crois, et chacune est un chef d’œuvre…il savait tellement mettre en valeur et révéler la beauté des textes…certains poèmes d’Eluard restaient abstraits pour moi en les lisant…je les comprenais grâce à la musique de Poulenc…
2023/02/10 (金) 15:53
Et il a bien raison. Je tiens ces disques pour des merveilles pures.
2023/02/11 (土) 7:44
Et j'avais été assez stupide pour ne jamais avoir voulu jusqu'à hier soir regarder le film de Delouche sous prétexte qu'elle [9] y chantait en play-back sur son fameux enregistrement de 59. Mais le drame vocal qui la conduisit à s'arrêter en pleine gloire ajoute au drame sentimental du personnage qu'elle dit avoir vécu elle-même à la création, et elle est tout simplement bouleversante. Dans une interview de 2009 (elle est morte à 95 ans !), elle valide d'ailleurs (sans doute pas pour tout-à-fait les mêmes raisons...) les scrupules de Yumi : "Comment une femme qui ne s’est jamais fait plaquer, qui n’a pas attendu un coup de téléphone en se disant que toute sa vie en dépend, trouverait les accents justes, si elle ne peut pas les puiser dans ce qu’elle a vécu ?"
2023/02/11 (土) 15:48
Je connaissais le film depuis longtemps. Cocteau réussit avec ces passions ordinaires un coup digne de Hitchcock dans La Corde.
Je me souviens de Stemme avouant : "Un jour, je me lèverai et ma voix – celle à laquelle je tenais – sera pour de bon enfuie."
Je relis avec délices La Cousine Bette. Balzac n'a rien fait de mieux. En diptyque avec le cousin, c'est parfait.
2023/02/12 (日) 8:17
Je tombe sur cette interview de "La Duval" que je te recommande, fût-elle un peu longue : c'est le plus bel hymne à un compositeur que je connaisse, comme d'un Hymne à l'Amour, et Poulenc, là où il est, a beaucoup de chance.
Son drame vocal est quasi concomitant de la mort de Poulenc, et la retraite professionnelle qui s'ensuivit à deux ans près n'est curieusement pas sans évoquer celle de Hara Setsuko suite à la mort d'Ozu, laquelle se retira alors pour de bon (au Japon on ne fait pas les choses à moitié...), cachant aux regards son sublime visage (déjà quelque peu altéré toutefois par la quarantaine) jusqu'à sa mort survenue à... 95 ans.
Poulenc (1899-1963), Ozu (1903-1963)
Hara (1920-2015), Duval (1921-2016)
Bizarre..
PS Il y aurait des bibliographies entières à écrire (sans guère de fondement d'ailleurs) sur la retraite de Hara Setsuko. L'attachement romantique et artistique à Ozu pourrait n'être qu'une séduisante vue de l'esprit, mais elle aide à vivre ceux pour qui la découverte au début des années 80 de Printemps tardif fut un événement quasi aussi cataclysmique que certaine représentation de nô dans telle université américaine.
2023/02/12 (日) 20:55
Akibiyori [10] reste le sommet de l'art d'Ozu pour moi. Tokyo monogatari[11] suit de près. Mais, erreur de jeunesse irrattrapable, je n’ai jamais été un connaisseur avisé de son œuvre.
Grande et belle victoire de l'Irlande achmaninov de Yuja Wang. En dehors des talons hauts et des décolletés plongeants en Flandre hollandaise, c'est du cirque.
À nos déesses :
2023/02/13 (月) 8:01
Si Le Pen père n'avait à jamais rendu l'expression imprononçable, je dirais que c'est un peu étrange que tu préfères la copie à l'original, Akibiyori n'étant qu'un remake un peu trop habile à mon goût de ce diamant brut qu'est Banshun [14]. Mais la magie opère bien sûr (je viens de me le refaire avec nostalgie entre quatre et six du mat' sur You tube). Pour Tokyo Monogatari, on est bien d'accord.
Allez, pour le plaisir, la scène de nô dans Banshun, formidable intégration de l'intrigue dans une superbe séquence documentaire, et quel numéro de la diva !
Et une rareté pour la route.
2023/02/15 (水) 7:00
Le "main theme" qui épouse tout le générique de Banshun m'a toujours enchanté.
Je n'ai garde d'omettre, toujours sur la reprise du fameux thème, la séquence finale de l'épluchage de la pomme dont la peau se détache d'un coup sec et tombe, métaphore simple mais sublime de la séparation d'avec la fille qui n'a jamais cessé de m'émerveiller (la magie quoi que j'en aie fonctionne à chaque fois), et que j'ai montrée je ne sais combien de fois à mes étudiants. Je me suis toujours demandé si le personnage vu de trois-quarts arrière pleurait ou s'il s'assoupissait. Je ne sais plus où j'ai lu tout récemment qu'Ozu avait en fait demandé à Ryu [15] de pousser alors un soupir, que l'acteur avait résisté à cette indication qui lui paraissait sans doute trop univoque ou trop mélodramatique et que, une fois n'est pas coutume, Ozu s'était incliné. Je bénis l'ambiguîté.
Qui n'a (presque) rien à voir : fan de Ganjiro [16] au cinéma comme au kabuki (son ambivalence à cet égard est unique), j'ai cherché en vain sur le net Dernier caprice 小早川家の秋 [17], que je n'ai pas revu depuis la lointaine rétrospective Ozu (était-ce à Beaubourg au début des années 80 ?) où je m'étais appuyé tous les parlants dans l'ivresse de la découverte. Revenant bredouille de ma recherche, je me suis fait pour la énième fois Ukigusa [18], le huis-clos dans la petite ville côtière de la compagnie de 大衆演劇 [19]. Tout m'y enchante, y compris le parfum de Daiei [20] qui nous sort de la famille Shochiku [21]. Ganjiro et Kyo Machiko [22] s'invectivant sous l'averse(53'03"-55'50") sont impayables, Sugimura Haruko [23] telle qu'en elle-même et Wakao Ayako [24] craquante. Et Ozu décidément incomparable, comme la patrie universelle du cinéma.
2023/02/15 (水) 8:37
Je serai à Akita et Oga [25] à partir de ce soir.
Je suis dans Rachmaninov ces derniers jours et dans Mozart avec Brendel. Félicity Lott pour le reste...Ton extrait de Lugansky me comble.
2023/02/15 (水) 18:31
Quelle étrange fête : tu dois rester traumatisé pour le restant de tes jours !
2023/02/20 (月) 21:14
Me voici de retour. La visite fut fructueuse.
Je découvre, après la débraillée Yuja Wang, adorée de moi pour son premier disque, que son
« marathon » fait partie des évènements marquants du cent cinquantième anniversaire de la naissance de Rachmaninoff, comme on écrivait jadis. Il reste l'un de mes compositeurs préférés.
J'ai écouté Grosvenor avant-hier à mon retour dans le concerto le plus célèbre. Je trouve une vidéo plus ancienne :
Pour rester à nos admirations :
Et en bonus, de mon Petrenko préféré :
2023/02/21 (火) 6:01
Dans la gargote d'Okinawa soba [26] où j'ai dîné hier soir, le haut-parleur diffusait, je dirais inévitablement, l'emblématique Tanchame 谷茶前, que j'associe depuis mon lointain premier séjour là-bas à la musique décidément enivrante de ce pays tragique et sublime. Le premier extrait en fournit une traduction salutaire dans un idiome plus accessible [27].
2023/02/21 (火) 12:56
Hier j'ai rêvé d'une voix littéralement surgie du passé et d'un pays qui a compté pour moi plus que les autres mettons. Je me suis rappelé avoir entendu cette chanson à Sonora [28].
Je ne connais rien à la musique d'Okinawa. Comme à tant de choses. Ce que tu m'envoies donne envie d'en savoir plus et de reprendre la route...
2023/02/22 (水) 6:18
Merveilleuses chansons traditionnnelles, et quelles interprétations ! Chavela Vargas est pour moi une absolue révélation, comme le fut autrefois Mercedes Simone pendant ma période Piazzolla. Et je suis fasciné par l'aspect panique de Lankum.
S'agissant d'Okinawa, j'ai eu deux flashes musicaux, à bien des années d'intervalle.
Le premier fut Tanchame, le morceau peut-être de tous le plus emblématique, sans doute entendu à mon premier séjour sur place sous forme de musique enregistrée, comme avant-hier soir en fond sonore de quelque taverne.
Le second, je le retrouve dans l'une de nos premières Folies ( mai 2020) : que ne nous sommes déjà dit en effet ? C'était sur Kokusai Dôr i[29], en 2011, j'étais allé remonter Solo Voice [30] pour Yumi [31] dans la salle municipale de Naha. Un mauvais souvenir artistique d'ailleurs, tant la disposition frontale était la négation même de ce spectacle conçu pour la disposition en puits du Kyoto Art Center. Un soir, j'étais allé dîner dans l'un de ces caravansérails avec plateau scénique incorporé où des artistes du cru faisaient ce qu'ils pouvaient devant des locaux avinés et braillards qui n'écoutaient rien. La danseuse qui semblait n'en avoir cure était sublime, la pièce (Hanafû) déchirante : "c'est la situation de Defune [32], t'avais-je écrit, elle accompagne au port son homme qui part" [33]. La vidéo que je t'avais postée en 2020 (une autre danseuse, bien entendu, et en extérieur par un jour de grand vent) est toujours en place, la tristesse est nue et l'émotion n'a pas bougé.
Quant à Defune et à son atmosphère lugubre de déploration lyrique, la pièce me renvoie au disque sublime de Chants du Japon par Yumiko Samejima, que j'entendis en récital dans ce répertoire à son retour d'Allemagne où elle avait fait tourner la tête de Helmut Deutsch, on le comprend, tant la femme (qu'il épousa au passage, l'heureux homme) était belle et chantait divinement !
2023/02/22 (水) 8:20
J'ai eu moi-même une passion pour le timbre et la beauté de cette femme, dont il reste malheureusement (je vous parle d'un temps, etc.) peu de témoignages visuels sur You Tube.
Sa diction et sa couleur vocale faisaient merveille dans les mélodies japonaises,
et je me passai et repassai avec une sorte d'ivresse son disque des Chants du Japon, au point d'en réaliser une quinzaine d'années plus tard, à la suite de péripéties sur lesquelles je n'insiste pas, une sorte de version en langue française qui fut enregistrée par Brigitte Balleys et Thierry Ravassard. Je crois même que nous assistâmes ensemble à l'un de leurs concerts à Lyon au moment du voyage initiatique des Branguignols [34]. Je retrouve non sans surprise sur le net l'incipit des vingt pièces :
Ma nostalgie est toutefois tempérée par le fait que la prise de son, effectuée en France par les soins du formidable Christophe Germanique, avait été hélas défigurée au Japon par la hideuse post-production des ingénieurs de King Records, qui noyèrent le tout dans une criminelle guimauve, se fichant sans doute comme d'une guigne que le public japonais à qui le disque était destiné comprît quoi que ce soit à ce que chantait Brigitte.
2023/02/23 (木) 7:48
Je n'oublie pas que Brigitte fut l'interprète glorieuse (et curieusement expressionniste, parfois comme murmurant) de notre cycle adoré, dans la version à tous égards "historique" de Herreweghe. Son mezzo léger y fait merveille.
2023/02/23 (木) 13:38
Je me souviens de cet enregistrement – à mettre avec Von Otter et Crespin dans les hauteurs – et de l'aventure des chants du Japon. La cantatrice nipponne habillée en Laura Ashley a une voix superbe mais ses mélodies anglaises deviennent du enka [35]. En japonais, c'est beaucoup mieux.
Je te livre quelques extraits d'un entretien-surprise :
– Le rock alors?
– Je me souviens acheter London Calling à sa sortie, cachant dans mon cartable le précieux Graal. Je découvre en même temps le titre mythique de Bauhaus. Je pourrais établir une liste de ce qui me paraissait digne et indigne d'écouter comme un adolescent.
Chez Jean-Baptiste, un camarade de class – de Clash? – dont le frère aîné (il a 22 ans et nous 14), virtuose du métal joue sur une Flying V – je découvre les premiers albums de Black Sabbath, Led Zeppelin, T-REX, Bowie époque Ziggy et Station to Station. [...] Ce n'est pas de mon âge. En 1984 Tom Waits complète ma liste avec les Pogues. [...]
Tout change comme une étincelle d'éveil zen en 1982 lors d'un été anglais chez mon ami A. Sans permission de minuit, il me fait découvrir le Batcave presque dès l'ouverture jusqu'à la fin de l'aventure. Il y aura bien le Gibus mais sans magie, d'ailleurs, c'est toujours ouvert. Ces années gothiques confirment mon baptême de l'épouvante daté de 1975 avec le Dracula de Tod Browning. En 1979, quand sortait le Nosferatu de Herzog, je vénérais déjà l'original de Murnau. Quand mes camarades de terminale et de prépa – les rares d'entre eux à qui je parlais – découvrent ce monde, j'en suis presque revenu. Jusqu'à aujourd'hui: je reste un « enfant de la nuit » comme ma phrase préférée au cinéma.
– Pas de jazz dans ces années-là?
– Si, sur les brisées de mon grand-père, quand je reste chez lui les samedis. Mais j'aime surtout le blues à l'époque – le livre d'Oliver me sert de guide d'écoute voire de recherche chez les brocs et ailleurs –; j'écoute à m'étourdir tout ce que je peux à commencer par Miles Davis – toujours la magie noire. Je ne vais que peu en club où l'on croise un public plus snobinard encore que celui des concerts classiques. Un soir un voisin de table a les écrits de Lacan et les Cahiers du Cinéma avec lui. Horreur. Je me ratrappe à doses intoxicantes dès les années 1990. Comme pour les concerts classiques, l'opéra où la chose est déjà entendue, les clubs de jazz sont devenus chics et chers.
– Un musicien?
J'ai eu la chance de rencontrer après un petit live à la Fnac des Halles, le guitariste John Campbell qui apportait au blues ce que les groupes du Batcave avaient introduits dans le rock. Il est mort deux ans après.
– Et aujourd'hui?
De ces quelques années-là, belles et ténébreuses, j'ai gardé un grand souvenir. Du rock, hors quelques concessions majeures (Dylan, Joni Mitchell, Leonard Cohen), il ne me reste rien. [...] Il reste assez de musique pour occuper les jours et les nuits, parfois en y mêlant un peu de belladone des années 1980, sinon des découvertes en temps réel comme The Gloaming.
– Pas de nostalgie?
Je n'en abuse pas. Tout comme du vague à l'âme. Ces poisses de la mémoire ont un pouvoir étrange. Je ne saurais me souvenir de l'âge que j'avais quand j'entends les Goldberg ou le Winterreise. Je peux dater au mois, sinon à la semaine les titres de rock que j'écoutais alors. Mes pavés n'étaient ni ceux de 1968 ni ceux de l'Hôtel de Guermantes, mais ceux que j'avais foulés avec des Doc Martens.
Te voilà avisé. Il y en a une tartine. Si tout terminait par une scène culte de cinéma, introuvable en VO, la voici:
Mais le Dracula de Villarias (avec la sublime Lupita Tovar) dépasse même la version anglaise.
2023/02/23 (木) 20:34
J'espère que mes divagations ne t'auront pas effrayé. Un camarade de promotion anglais – Magdalen College [36] – en dehors de son travail à Kew [37] écrit un ouvrage sur « nos années 1980 » à l'occasion d'une étrange compilation de disques. On papote sur Zoom. De1980 à 1990, ce fut ma décade décadente. Je suis resté l'enfant qui a obtenu l'Éveil en voyant Dracula il y a plus de 45 ans. Entre la Combe-aux-Loups [38], Lugosi, Karloff, Schreck le bien nommé [39], Vincent Price et Christopher Lee, j'avais une certaine culture en la matière très tôt. Musicalement, tout cela a disparu. Cinématographiquement, tout reste en place. Une rareté :
Une rareté lyrique de l'année ou je suis né :
2023/02/24 (金) 10:58
Dont acte pour les mélodies anglaises par la belle Yumiko, et encore je ne t'ai pas infligé le pire de ce qui reste d'elle en vidéo.
En japonais c'est non seulement beaucoup mieux, en fait elle est imbattable dans ce répertoire certes nunuche, mais qu'elle parvenait à transcender jusqu'à le faire sien, personne ne s'y était à ce point risqué avant elle, et encore moins depuis.
Que dire de son disque de grand répertoire où à vrai dire elle ne craint pas grand monde, sans doute n'a-t-elle le tort que d'être née japonaise :
Et quel français !
Pour le reste, j'écoute et mate les extraits que tu m'envoies, tous formidables, en me disant que je suis passé à côté de tout ça. Avec ton autorisation, je transfèrerai tel quel sur le blog de l'hiver, nos lecteurs reconnaîtront les leurs. Le Werewolf est britishissime. Je me mets pour l'instant au chaud le Tristan de Boulez, il ne faut pas abuser des élixirs. Et je te poste ceci, que je trouve finalement assez iconique du vingtième siècle, et qui se clôt sur un retournement dont je ne me suis pas encore remis après onze lustres.
2023/02/25 (土) 6:16
La suite de Jerry Goldsmith que je t'ai postée hier m'a donné envie de retourner à l'original.
Curieusement, elle ne contient pas la pièce (à 11'35") qui m'avait totalement tourneboulé à la première vision de ce chef-d'oeuvre : découverte de la "planète" par les naufragés de l'espace. J'ai toujours eu envie depuis de faire le voyage du Lake Powell, dans le désert d'Arizona où la scène avait été tournée.
Et je n'ai pu faire que de revenir à mes autres bandes originales favorites :
2023/02/25 (土) 9:55
Je n'aurais pas pensé à Ran. Pour le reste, j'ajouterais Bernard Hermann – grand compositeur – et, pour ma cause, James Bernard.
Du tango aux musiques celtiques, du flamenco au blues : ces musiques ont remplacé le « rock » dans mon esprit et mes écoutes hors de notre genre habituel ; même mon jazz contemporain s'est fossilisé, je continue à chercher les ascenseurs vers Miles. En voici deux admirables de finesse :
Cohen, en dehors d'une excursion ratée en terrain jazz-rock, est un très grand artiste.
Cette décennie rock – de quelques très grands artistes à une majorité de nullards – ne m'a pas laissé grand-chose. Un de mes amis suisses, Youri Volokhine, est resté prisonnier de ces années. Je suis distancé depuis des lustres, mais j'avais réussi à lui susurrer un nom :
Chapitre tristesses. Moins en vue à l'EHESS, le plus grand spécialiste de linguistique japonaise, Alexander Vovin [40] est mort. Je l'ai appris en préparant un article, devenu un hommage.
2023/02/25 (土) 15:31
Je trouve la pièce de Mette Henriette et de son trio au surprenant instrumentarium "haunting", comme cette autre pour orchestre que je trouve en furetant sur le net.
Drôle que tu me l'aies adressée à la suite (de ma part) de Ran qu'elle n'est pas en fait sans m’évoquer : non pas d'ailleurs s'agissant du Takemitsu l'extrait, genre un peu "symphonic spectacular" que je t'ai posté, mais je ne retrouve malheureusement pas sur You tube l'intégrale de la bande originale beaucoup plus "subdued" qui m'avait tant fasciné, tant "satisfait", comme une tentative réussie de fusion réputée impossible entre les deux mondes. Sauf pour ce génie qu'était Takemitsu.
Je suppose que les racines sames de la jeune femme ne sont pas non plus pour te déplaire...
2023/02/25 (土) 16:01
Non, tu as raison ! Quand je l'ai découverte, je ne le savais pas. Le mot haunting est vraiment intraduisible. Je ne le prête d'ailleurs qu'à nos classiques, au jazz et aux musiques traditionnelles. Je ne crois pas que le rock – hormis Tom Waits (dont j'ai toute la discographie) – ait beaucoup de musiciens qui possèdent cette qualité-là.
Pour toi, je reviens vers des profondeurs du passé. Je ne vois pas beaucoup de cinglés pour accepter cela :
Le morceau dirigé par Mäkelä est une merveille. Merci. Elle s'émancipe plus des cadres du Maître, ce qui n'enlève rien à Cohen qui, en concert, avait été une révélation. Il a un homonyme, lui, très oubliable, le bassiste Avishai Cohen, qui par contre est beaucoup plus connu.
Ce n'est pas pour moi un hasard qu'ils soient chez ECM [41]. Manfred [42] a su faire du disque et du CD un bel objet minimaliste.
Ce n'est pas Astor [43], mais question hantise, voilà un autre maître :
2023/02/25 (土) 19:20
La qualité technique et émotionnelle des deux enregistrements est exceptionnelle : ECM est décidément "le plus beau son du monde après le silence !"
Bonjour le résumé de thèse ! Tu m'en diras des nouvelles...
Drôle que tu fasses un tel sort au mot "haunting". Je n'y avais pas du tout songé, mais cela me renvoie à un livre qui m'avait beaucoup marqué dans un passé vraiment très lointain, puisque cela ne pouvait avoir lieu qu'au début des années 70, alors que je découvrais l'une après l'autre les oeuvres de Mahler (et notamment à Princeton l'enregistrement Bernstein du Chant de la Terre).
L'auteur était un psychanalyste de la haute époque du nom de Theodor Reik, la chose était parue en anglais à la fin de la vie du type sous le titre The haunting melody, mais je l'avais lue en traduction française sous le titre ridicule de Variations psychanalytiques sur un thème de Gustav Mahler. "Haunting" n'avait d'ailleurs nullement le sens que nous lui attribuons dans notre conversation d'aujourd'hui, référant en l'occurrence à une musique obsédante, importune, qui vient tourmenter inlassablement et impitoyablement le sujet, alors même qu'en soi elle n'est pas obligatoirement susceptible de rejet puisqu'il s'agit en l'espèce de la sublime entrée pianissimo (et a capella) du choeur dans le finale de la Seconde Symphonie :
Je découvrais du même coup cette oeuvre magnifique, dans laquelle Mahler cherchait aussi clairement, avec l'utilisation des deux chanteuses solistes et de la masse chorale, à refaire le coup de la Neuvième de Beethoven et donc à se hausser à la hauteur de la statue du Commandeur.
Je n'ai pas le livre à ma disposition, et j'emprunte donc sans vergogne à une dame du nom de Sophie de Mijolla-Mellor [44] un résumé de la chose qui, pour autant que mes souvenirs me permettent d'en juger, me paraît assez fidèle :
Le 25 décembre 1925 Theodor Reik apprend que Karl Abraham, qui avait été son analyste, vient de mourir et que Freud lui fait l’honneur de lui confier l’éloge funèbre du disparu.
Cadeau empoisonné car Abraham a déconseillé à Reik de prendre des patients en analyse du fait qu’il n’était pas médecin, et que ce sera le calvaire de la vie de Reik.
Sous le choc de la nouvelle de ce décès mais nullement chagrin, Reik entreprend une promenade solitaire pour rassembler ses idées. C’est alors que lui viennent en tête les premières mesures du chœur du dernier mouvement de la Seconde Symphonie de Gustav Mahler et les paroles du poème Résurrection de Klopstock que reprenait ce final.
Auferstehn, ja, auferstehn wirst du,
Mein Staub, nach kurzer Ruh. [45]
À partir de cette nuit-là et jusqu’au Jour de l’An, Reik va être hanté sans relâche par cette mélodie, véritable persécuteur interne.
La recherche de Reik pour comprendre l’origine de la persistance obsédante de cette mélodie va jouer sur :
sa relation transférentielle d’admiration et de rivalité à Abraham et à Freud ;
son identification à Mahler qu’il justifie par le fait que le compositeur a souffert du rejet de la part d’un compositeur aîné, Hans von Bülow, comme lui-même Reik a souffert de celui d’Abraham. De plus Mahler avait vis-à-vis de Beethoven une dévotion inhibitrice, comme Reik vis-à-vis de Freud.
The haunting melody est donc à la fois :
complexe par le nombre de personnages qu’il analyse dans un système de va et vient et de superpositions
simple par l’interprétation unique qui les relie, soit le sentiment de triomphe mêlé de culpabilité lorsque meurt une figure admirée voire révérée, mais en même temps enviée.
L’ensemble du texte se situe sub specie mortis comme la musique de Mahler lui-même.
Je ne sais trop à vrai dire ce qu'il faut penser de tout cela, quoi qu'il en soit cela m'enchanta, j'ai gardé un souvenir étonnamment vivace de cette lecture lointaine, et depuis je ne peux jamais entendre démarrer ce choeur, comme surgissant du néant, sans réprimer un singhiozzo. Mais Mahler, génial, en est sans doute plus responsable que la glose ingénieuse de Reik...
2023/02/26 (日) 1:16
La hantise, c'est la mélodie obsédante ; ce n'est pas une surprise si la psychanalyse, cette science des fantômes, ne s'y trouve nulle part en terre étrangère. Le Norvégien pâtissier qui fait une thèse sur un disque – parmi les plus inécoutables sauf initiation quasi shamanique – de Miles, a une place dans mon panthéon des fous de musique. Il jouait de la batterie pour les esprits des forêts près des Lofoten...
Manfred Eicher – avec Jan Erik Kongshaug – a inventé avec ECM un son et une image. De Keith Jarrett à András Schiff. Je reste stupéfait par la capacité de la maison à produire des enregistrements à jet continu (bientôt 2000). Un autre artiste intéressant :
L'enregistrement de l'artiste same est vraiment superbe.
Une curiosité de luxe pour finir :
2023/02/26 (日) 8:32
S'agissant de Charles Lloyd, je n'ai pas pu avoir accès à Georgia, mais ceci est assez formidable, là aussi le son est superbe, le fameux sens de l'espace propre à la Maison.
Une autre petite excursion "on the bridge of sound".
[1] Brendan Gleeson (1955-), acteur irlandais. [2] Le violon "celtique" est l'un des principaux instruments de la musique populaire irlandaise. [3] Ville portuaire du Comté de Cork (sud de la République d'Irlande). De nombreux événements musicaux y sont régulièrement organisés. [4] Dans Le Septième Sceau. [5] Fourneau utilisé dans les opérations alchimiques. [6] Livre de souvenirs de Michel Wasserman (Les Indes savantes, 1988). [7] Dans Le bel indifférent (Bouffes-Parisiens, 1940). [8] Rogé. [9] Denise Duval, en 1972. Elle s'était arrêté de chanter en 1965. [10] Fin d'automne (1960). [11] Voyage à Tokyo (1953). [12] qui a battu la France par 32 à 19. [13] qui a battu Galles par 35 à 7. [14] Printemps tardif (1949). [15] Ryû Chishû (1904-93). [16] Nakamura Ganjirô II (1902-83). [17] Kohayagawa-ke no Aki (littéralement : l'automne de la famille Kohayagawa), avant-dernier film d'Ozu (1961). [18] Herbes flottantes (1959). [19] Taishû engeki (théâtre populaire ambulant). [20] Compagnie de production cinématographique. [21] ibid. Ozu était salarié de la Shôchiku et ne travaillait en principe qu'avec des acteurs et des équipes techniques relevant de cette compagnie. Il ne travailla qu'exceptionnellement pour des compagnies concurrentes : c'est le cas d'Herbes flottantes (Daiei). [22] Actrice (1924-2019). [23] ibid. (1909-97). [24] ibid. (1933-). [25] Ville et péninsule du même nom à l'ouest de la préfecture d'Akita, sur la Mer du Japon au nord de l'île principale, célèbres pour leurs fêtes populaires d'hiver faisant intervenir des participants déguisés en ogres agissant auprès des enfants terrorisés comme des pères fouettards. [26] Les soba sont des nouilles de sarrasin, consommées partout au Japon. La variété d'Okinawa est produite à partir de farine de blé. La recette au travers de porc caramélisé (sôki soba) est particulièrement goûteuse. [27] C'est-à-dire en japonais ! [28] État du nord-ouest du Mexique. [29] Principale avenue commerçante de Naha, chef-lieu de la préfecture d’Okinawa. [30] Voir Folies françaises Automne 2022, 2022/10/13 (木) 6:41. [31] Nara. [32] Le bateau qui part (1922), paroles de Katsuta Kogetsu, musique de Sugiyama Haseo. [33] Voir Folies françaises 2020, 2020/05/25 (月) 22:02. [34] Commissaires d'une exposition consacrée en 2005 par le Musée Guimet de Lyon aux oeuvres de peinture japonaise rapportées par Claudel de sa mission d'ambassadeur (1921-27), François Lachaud et Michel Wasserman s'étaient rendus deux ans auparavant aux fins de recherches préparatoires au Château de Brangues, dans l'Isère, que Claudel avait acquis à la suite de son séjour au Japon et où il avait ensuite passé une grande parrtie de sa retraite. [35] Type de chanson populaire japonaise contemporaine adoptant un vocalisme vernaculaire. [36] à Oxford. [37] Quartier du sud-ouest de Londres. [38] Site de l'invocation aux puissances démoniaques dans le Freischûtz de Weber. [39] L'acteur Max Schreck (1879-1936) est le héros de Nosferatu le Vampire, de Murnau (1922). Schreck en allemand signifie "peur", "effroi". [40] Linguiste américain d'origine russe (1961-2022). [41] Maison de disques allemande, fondée en 1969. [42] Eicher. [43] Piazzolla. [44] Philosophe et psychanalyste (1946-). [45] "Ressusciter, oui, tu vas ressusciter, Ma poussière, après un court repos."