2020/05/18 (月) 14:06
Autre souvenir. Je venais d’avoir 17 ans quand j’ai rencontré Beckett au Rosebud – déjà la rue Delambre – et j’ai fréquenté tous les festivals consacrés à lui – le dernier fut au Centre Culturel Irlandais de Paris –, visité sa maison à Foxrock, nagé en bas de la Martello Tower...
Mon plus ancien maître, André Topia, me fit vénérer Joyce autant que Beckett ; je relisais ses notes pour la Pléiade. Et quand on sait ce que Claudel pensait de Ulysses, je m’émerveille et m‘effare d‘avoir, grâce à toi, écrit sur lui. Cet auteur incarnait pour les jeunes anglicistes et pour moi, hiberniste, le fait que nous étions les ennemis de la littérature.
André en demeurait interdit. John McCourt aussi.
Nacht und Träume. Holde Träume, kehret wieder ! Beckett où le mélomane inaltéré. Au fond, son œuvre me parle plus que toutes les autres.
Washington, hiver 2011, j’entends John Hurt dans La Dernière Bande. Il est déjà assez mal en point mais, le trouvant là tous les soirs, nous allons dîner puis boire à The Post juste à côté.
Arrêt sur images : Fin de partie merveilleux à Paris, hiver 2016, une dame très comme il faut est à côté de moi. Elle rit au début, puis peu à peu sanglote, le rimmel fond, elle finit – ce sont ses mots – dévastée.
Été 2003, en route vers Oxford (Mississippi), soleil de justice en attendant Faulkner. À une pompe à essence, deux hommes noirs, le coffre chargé d’armes et d’opossums, m’offrent un verre et me proposent de me montrer le bayou derrière la station service. J’y vais sans réfléchir. Eaux noires et menaçantes, couvertes de lentilles et de macres. Un écriteau avec un mort qui se noie et cette légende : « Jesus won’t save you here! »
Play it again Sam.
Tibi.
2020/05/18 (月) 15:41
Beckett.
Je triche un peu, Grand garçon, et j’emprunte les quelques lignes qui suivent à un petit texte qui m’avait été demandé pour un recueil de mélanges en l’honneur de mon cher Georges Banu, avec lequel nous avions, à l'instigation de Chérif Khaznadar, eu carte blanche pour consacrer une partie du Festival de l'Imaginaire 2004 de la Maison des Cultures du Monde à "Notre Japon" : le nôtre, bien sûr, mais aussi celui de tant de jeunes hommes et femmes de théâtre et de danse qui avaient fait après nous le pélerinage de ce pays, et qui au risque de la nostalgie en avaient rapporté le souvenir quelque peu fantasmé. De mon côté, j'avais été chargé par Chérif de négocier le voyage tout exprès des acteurs de kyôgen de la famille Shigeyama, la gloire de Kyoto, aussi prodigieux dans les actes muets de Beckett que dans leur répertoire immémorial, et qui, naissant et mourant en scène au point qu'ils n'ont pas même le souvenir de leur première apparition, font coexister sur le plateau toutes les générations : à Paris, nous avions une branche de la famille au grand complet, l'aïeul, Sennojô, acteur de légende, son fils Akira et son petit-fils Dôji. Quatre-vingts, ans, cinquante ans, vingt ans. Ils devaient notamment (je dirais, évidemment...) donner Bôshibari, le joyau du répertoire, ou comment deux valets assoiffés dont leur maître a entravé les bras trouveront tout de même le moyen de lui vider sa cave à saké. Et les Actes sans paroles de Beckett, où ils sont inégalables, mais qui nécessitent deux ou trois accessoires... qu'ils ont oublié au départ de Kyoto de mettre dans leur baluchon : que faire ? Les programmes sont imprimés, le public est aussi venu pour Beckett. Je hasarde : est-ce qu'on ne pourrait pas donner à la place Susugigawa, leur version de La Farce du Cuvier, une saynète française du quinzième siècle qu'ils ont adaptée au début des années cinquante et que nous leur avions demandée pour célébrer l'inauguration en 1992 de la Villa Kujoyama, où plusieurs participants aux journées ont d'ailleurs résidé. Ils se concertent d'un regard : aucun problème. Et ils feront un triomphe dans ce numéro aujourd'hui indiscernable de leur grand répertoire auquel il s'est totalement intégré.
Quant à tes propositions musicales de ce jour, tu reconnaîtras que tu ne me laisses guère le choix. Je m’étais juré de ne jamais user de pareil joker, mais que répondre d’autre ?
2020/05/18 (月) 15:55
Maestro,
Je plaisantais un peu, sauf pour mon affection pour Beckett. L'homme était un maniaque du détail. Hurt, inoubliable. Il est très bon dans La dernière bande mais là, le tragique et la comédie de la vie prenaient une dimension formidable. Si tu as déjà vu ses notes de mise en scène pour une seule pièce, il y a de quoi devenir fou. Mais je trouve à ce minimalisme assumé une saveur extraordinaire. Pour le coup, Beckett peut apparaître énigmatique mais reste drôle. Si l'on accepte la vielle à roue en bout de piste.
Ce n'est pas un scoop mais mon joker, mon diable dans la boîte, songeant à Beckett qui jouait jeune la "Pathétique" pour se distraire après le rugby. Son lied préféré dans une interprétation qui ferait pleurer la pierre la plus dure :
Ton serviteur.
2020/05/18 (月) 16:10
À ce niveau-là on va bientôt être à court de munitions !